22/11/2025

Démographie et santé publique en Bourgogne-Franche-Comté : enjeux, défis et leviers d’action

Pourquoi la démographie est un levier de santé publique à ne pas sous-estimer

En France, la démographie est au cœur des politiques publiques de santé. L’évolution de la structure de la population – âge, répartition géographique, dynamiques migratoires – façonne l’état de santé de tout un territoire. Plus précisément, l’analyse des tendances démographiques permet de comprendre l’exposition d’une région à certains risques sanitaires, d’anticiper les besoins de soins et d’ajuster les réponses. Alors que l’INSEE a récemment publié de nouveaux chiffres sur la population et ses évolutions (INSEE, chiffres 2023), nous faisons le point sur ce que ces données signifient pour la Bourgogne-Franche-Comté (BFC).

Ce que nous disent les chiffres en Bourgogne-Franche-Comté

La Bourgogne-Franche-Comté compte environ 2,8 millions d’habitants (INSEE, recensement 2021), soit 4,2 % de la population française. Cette population se distingue par deux caractéristiques majeures : un vieillissement accentué et une faible densité dans de nombreux territoires.

  • Âge médian : 45 ans en BFC, contre 42 ans en France métropolitaine (INSEE).
  • Proportion de personnes de 75 ans et plus : 11,5 % en BFC, contre 10 % au niveau national.
  • Départements les plus âgés : la Nièvre et la Haute-Saône figurent parmi les dix départements les plus âgés du pays.
  • Densité de population : 58 habitants/km² en BFC, bien en dessous de la moyenne nationale (122 hab./km²), avec des écarts marqués : près de 230 hab./km² dans le Doubs, à peine 30 hab./km² dans la Nièvre ou la Haute-Saône.

En parallèle, la région fait face à un solde naturel négatif : il y a plus de décès que de naissances depuis plusieurs années, marquant une stagnation voire un recul de la population dans certains secteurs, notamment ruraux (source INSEE). Pour un acteur local, ce sont ces dynamiques, souvent invisibles derrière les moyennes, qui orientent les priorités.

Concrètement, quelles conséquences sur la santé dans la région ?

1. Vieillissement : le défi majeur

  • Charge croissante de maladies chroniques : Le vieillissement de la population entraîne une augmentation de la prévalence des pathologies chroniques : diabète, maladies cardiovasculaires, cancers. Selon l’Assurance Maladie, la part des personnes en ALD (affections de longue durée) est plus élevée en BFC qu’au niveau national (20,4 % contre 18,2 % en 2022).
  • Mobilité et autonomie : Avec la ruralité et le vieillissement, l’accès aux soins, aux pharmacies, aux services à domicile devient un enjeu clé, notamment dans la Nièvre, l’Yonne ou la Haute-Saône.

2. Inégalités territoriales d’accès aux soins

  • Des “déserts médicaux” en expansion : Plus du tiers des communes de la région, et près de 45 % de la superficie de la Nièvre et la Haute-Saône, sont en situation de “zone d’intervention prioritaire” selon l’ARS BFC. Cela signifie que le nombre de médecins généralistes et spécialistes y est en-dessous d’un seuil critique (voir ARS Bourgogne-Franche-Comté).
  • Recours aux urgences : Dans certains territoires ruraux, on observe une augmentation du recours aux urgences pour des soins qui pourraient relever de la médecine générale (rapport SPF 2023).

3. Dynamiques migratoires spécifiques

  • Solde migratoire interne négatif : Hormis le Doubs, la Côte-d’Or et le Jura (qui affichent encore un solde positif, notamment du fait de l’attractivité des agglomérations de Besançon et Dijon), la plupart des départements voient partir plus d’habitants qu’ils n’en accueillent. Un point à surveiller, car il s’accompagne souvent d’un vieillissement accéléré des populations restantes.
  • Arrivées ponctuelles : Certaines communes rurales attirent cependant de nouveaux habitants, souvent des plus de 55 ans ou des familles recherchant un cadre de vie, ce qui redessine les besoins locaux (scolarité, prévention, gérontologie).

À surveiller dans les prochains mois en Bourgogne-Franche-Comté

  • Les tensions sur les ressources humaines en santé : La BFC compte 9,4 médecins pour 10 000 habitants, contre 11,2 en France (DREES, 2022). Ce déficit s’aggrave dans les zones les moins peuplées.
  • L’évolution du nombre de pharmacies de proximité : On observe des fermetures dans 14 % des communes rurales de la Nièvre et de l’Yonne sur les dix dernières années (Ordre National des Pharmaciens, 2023).
  • L’offre de soins hospitalière : Plus de 60 % de la population vit à plus de 30 minutes d’un service d’urgences en Creuse et dans certaines communes éloignées de la Nièvre et de la Haute-Saône (étude ENA 2022).
  • Les mutations démographiques post-covid : L’épisode COVID-19 a entraîné des mouvements de population (retour en campagne, départs d’étudiants ou de jeunes actifs), avec des incidences encore mal quantifiées sur la santé territoriale.

Pourquoi il faut s’y intéresser dès maintenant

La démographie n’est pas un simple décor. Elle structure l’offre et la demande de soins, la prévention, l’organisation des équipes soignantes et les capacités d’innovation. En BFC, l’enjeu est double :

  • Adapter les stratégies de santé publique à un vieillissement marqué (prévention des chutes, repérage de la fragilité, lutte contre l’isolement).
  • Réduire les inégalités nord-sud et urbain-rural, qui restent très marquées, par une meilleure allocation des ressources et le développement de solutions de proximité.

Pour les collectivités, ne pas tenir compte de la démographie, c’est risquer d’accentuer la fracture territoriale. Pour le médico-social, c’est anticiper la transformation des besoins d’accompagnement. Pour les réseaux de prévention et les associations, c’est cibler les messages, les modes d’intervention et les partenariats à nouer.

Quelles pistes concrètes pour agir en Bourgogne-Franche-Comté ?

1. Ajuster l’offre de soins et de prévention au terrain

  • Multi-professionnalité : La montée des Maisons de Santé Pluri-professionnelles (plus de 195 en 2023 en BFC, source ARS) est une réponse concrète à la raréfaction des médecins isolés. Les collectivités peuvent appuyer leur création ou leur élargissement à d’autres professionnels (kinésithérapeutes, psychologues, assistants sociaux…).
  • Déploiement de la télémédecine : Indispensable pour réduire les distances – mais cela pose aussi la question de l’équipement numérique des usagers les plus âgés ou isolés.
  • Mobilité des professionnels : Encourager l’exercice mixte ou la mobilité (médecins itinérants, infirmiers mobiles) dans les zones à faible densité.

2. Réinvestir la prévention adaptée à la démographie régionale

  • Mettre l’accent sur la prévention du vieillissement (nutrition, activité physique, stimulation cognitive, habitat adapté).
  • Soutenir les aidants familiaux, qui constituent le premier “filet” dans les territoires isolés de la Nièvre et de la Haute-Saône notamment.
  • Cibler les campagnes de vaccination, de dépistage (cancers, diabète, etc.) sur les communes à fort vieillissement ou en difficulté d’accès aux soins.

3. Soutenir l’attractivité et le maintien des jeunes actifs

  • Politiques d’accueil et de maintien : Les programmes d’incitation à l’installation de jeunes professionnels, y compris dans le secteur de la santé, sont essentiels (Prime d’exercice territorial, aides à l’installation, simplification des démarches).
  • Formation et partenariat : Collaborer avec les universités et instituts de formation régionaux (Dijon, Besançon), développer des stages en zone rurale, promouvoir la formation continue.

4. Développer des partenariats entre élus, professionnels de santé et citoyens

  • Participer à l’élaboration des diagnostics locaux de santé : La création de Conseils Locaux de Santé (CLS) ou la contribution au SIRS (Système d’Information Régionale en Santé) permettent de partager les données et les besoins.
  • Co-construire l’offre de prévention : Les communes peuvent soutenir des projets “hors les murs” (ateliers santé itinérants, bus de dépistage, etc.).

À retenir

Démographie Conséquences sanitaires en BFC Leviers d’action
Vieillissement rapide Plus de maladies chroniques, isolement, complexité des parcours Maisons de santé, prévention gérontologique, soutien aux aidants
Faible densité en zones rurales Difficultés d’accès aux soins, inégalités sociales Télémédecine, mobilité, attractivité des jeunes pros
Départs des jeunes Besoins croissants pour les populations âgées, perte de vitalité Politiques d’accueil, formation, dynamisation locale

Une région-pilote pour adapter la santé publique aux réalités démographiques

En résumé, la démographie est loin d’être une donnée figée : c’est le “moteur caché” qui impacte en profondeur l’organisation de la santé dans nos territoires. Plutôt que de la subir, la Bourgogne-Franche-Comté peut choisir d’en faire un levier d’innovation et de cohésion. Pour avancer concrètement, la dynamique collective, l’analyse fine des chiffres et la mise en lien des acteurs restent la clé. N’hésitez pas à relayer et à débattre de ces constats dans vos réseaux – c’est tout l’enjeu de la veille partagée.

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